Introduction au Surrey Calendar

La base de données que l’on va consulter est issue des deux volumes du Calendar of Manuscripts in Paris Archives and Libraries Relating to the History of the Mississippi Valley to 1803, édité en 1926 par Nancy Maria Miller Surrey (1874-1951), sous l’égide de la Carnegie Institution, et sous la direction de Waldo Gifford Leland. C’est pourquoi, avant de relater les choix qui ont été les nôtres, et le travail accompli, il faut revenir sur la longue histoire de l’entreprise de Leland, Surrey, et leurs prédécesseurs.

Les premiers compilateurs de sources relatives à l’histoire de la vallée du Mississippi ont été Félix Magne et Pierre Margry. Le premier, éditeur à La Nouvelle Orléans, notamment du journal L’Abeille, a copié ou fait copier en France dans les années 1840 une partie des archives du Ministère de la Marine et des Colonies, dont il a fourni les principaux éléments, cédés sous la forme de deux volumes à l’Etat de Louisiane, qui avait alors à sa tête un gouverneur d’origine acadienne, sensible aux racines françaises, Alexandre Mouton. Le second a publié des ouvrages bien connus, principalement formés à partir de nombreux manuscrits de la Bibliothèque nationale et des Archives de France, et fourni dès les années 1840 des copies de manuscrits essentiels sur commande de l’Etat de Louisiane. Les Notes et Documents sur l’Histoire de la Louisiane de Magne sont un fleuron de la collection de manuscrits de la Louisiana Historical Society ; chacun connaît les Découvertes et établissements des Français dans l’ouest et dans le Sud de l’Amérique Septentrionale de Margry. Charles Gayarré tirera de ces deux sources la matière de son Histoire de la Louisiane (1846). La LHS, Gayarré et John Perkins, qui avaient mandaté ces travaux de compilation, ont procédé au début des années 1850 à une démarche similaire pour l’acquisition de copies de manuscrits espagnols, démarche abandonnée avant son achèvement, quelques années plus tard.

C’est en 1907 seulement, que plusieurs sociétés historiques de la vallée du Mississippi, se regroupent en comité, au sein de l’American Historical Association présidée par John Franklin Jameson (1859-1937), en vue de coopérer entre elles et diverses agences des Etats concernés, pour tenter d’achever le travail de copie des archives conservées en France, en Angleterre et en Espagne. Le Dr Dunbar Rowland (1864-1937) archiviste de l’Etat du Mississippi, est placé à la tête de ce comité. Pour ce qui concerne les archives à Paris, Rowland se doute bien que les centaines de documents récoltés par Magne et Margry, ne sont que la partie émergée des milliers de manuscrits que l’on découvrira probablement. Il n’ignore aucune des difficultés à venir, et notamment celles issues des nouvelles frontières de l’ancienne Louisiane, divisée en de nombreux Etats américains. Il fixe néanmoins l’objectif chronologique : 1681 (préparation du voyage de Cavelier de La Salle) à 1803 (cession de la Louisiane), il commence à réunir des fonds pour cette opération –qui se révéleront en réalité très insuffisants, et choisit le jeune Waldo Leland (1879-1966) pour diriger ce travail. Ce dernier, considéré comme un spécialiste des archives fédérales, est attaché à la Carnegie Institution de Washington DC, qui a pour projet de publier des guides des sources de l’histoire américaine dans de nombreux pays : Grande-Bretagne, France, Espagne, Italie, Suisse, Allemagne, Autriche, Russie, Canada, Mexique et Cuba.

Jameson et Leland se rendent à Paris dès 1907, où ce dernier dirige, avec l’aide du Français Abel Doysié (1886-1973), la compilation raisonnée de tous manuscrits conservés dans les bibliothèques, ministères, Archives nationales et archives des Affaires Etrangères, concernant l’histoire des Etats-Unis. Il est contraint de rentrer aux Etats-Unis par la déclaration de guerre, en 1914 ; à ce moment-là, le travail paraît à peu près achevé. Mais le dépouillement de ces sources par de nombreuses personnes, adoptant différents usages, la complexité due à la variété des lieux de dépôt et à celles des collections et séries, la masse des documents à elle seule, firent bientôt apparaître que le travail était loin de toucher à sa fin. L’on considéra que l’enquête concernant le Mississippi était achevée, mais qu’un travail d’uniformisation de la présentation, et de classement raisonné, était absolument nécessaire, d’autant qu’il était apparu de nombreux doublons. Le directeur des manuscrits aux Archives publiques du Canada, David Parker, est sollicité par Leland pour relire les milliers de fiches, et tandis que ce dernier revient en France de 1922 à 1927, pour achever son travail sur les bibliothèques et sur les archives des Affaires Etrangères, l’énorme travail d’édition sur la vallée du Mississippi échoit au Dr Surrey.

Auteur d’un remarquable ouvrage d’érudition, The Commerce of Louisiana During the French Regime, 1699-1763 (1916), préparé en France lorsqu’elle travaillait sous l’égide de Leland, Nancy Surrey connaît une partie de ces archives, et elle bénéficie des notes et de l’aide active de Leland et de Doysié : ce dernier, poète, historien et traducteur, dirige jusqu’à la Seconde guerre mondiale la reproduction des archives françaises initiée par la Library of Congress, d’abord sous la forme de copies manuscrites, puis par procédé photographique. Puisque le corpus est clos, c’est donc essentiellement aux Etats-Unis, à la New York Public Library, que Surrey va travailler à l’édition du Calendar. La décision est prise de classer les 22 589 documents selon un ordre chronologique, et, par souci d’économie autant que pour éviter les erreurs d’édition, de publier le résultat sous la forme d’une simple copie des tableaux typographiés : ce sera chose faite en 1926, sous la forme de deux forts volumes publiés par la Carnegie Institution. D’autres guides basés sur les travaux de Leland suivront : celui de Wroth et Annan, Acts of French Royal Administration concerning Canada, Guiana, the West Indies and Louisiana prior to 1791 (1928), de Leland, Meng et Doysié : Guide to Materials for American History in the Libraries and Archives of Paris (2 volumes, 1932 et 1943).

Par la suite, plusieurs institutions américaines utilisent le « Surrey Calendar » -comme on le désigne généralement, pour acquérir sous forme de microfilms une partie de ces manuscrits. Il est vrai que la Library of Congress avait commencé en 1911 à dupliquer des documents par photostat ; mais c’est à partir de 1927, grâce aux fonds Wilbur et Rockefeller, que commence la duplication par microfilm, adoptant dans les années 1930 le format photographique 35mm. En 1964, Ulane Zeeck Bonnel (1918-2006) est déléguée par la Library of Congress pour conduire les travaux de reproduction des archives françaises, avec l’aide d’un conservateur de la Library, James O’Neill. En 1967, Glenn R. Conrad (1932-2003) commence à réunir une série de Colonial Records à la University of Southwestern Louisiana de Lafayette, qui sera continuée à partir de 1973 par le Center for Louisiana Studies. L’un des professeurs de cette université, Carl A. Brasseaux, rêve de trouver une forme moderne au « Surrey Calendar », et commence à y travailler. En 1984, Alfred E. Lemmon ouvre à la Historic New Orleans Collection une collection de microfilms des archives françaises, incluant de nombreux cartes, plans et recensements de population. Lui aussi est convaincu de l’intérêt d’une réédition du Calendar de 1926, sous la forme d’une base de données informatisée. En effet ce document, indispensable pour tous les chercheurs travaillant sur notre domaine historique, n’est pas très répandu, ayant été tiré à un petit nombre d’exemplaires. Pour ne donner qu’un exemple significatif, on ne trouve en France que deux « Surrey Calendar » accessibles aux chercheurs, l’un à la Bibliothèque nationale de France (Paris), l’autre à celle du Centre des archives d’Outre mer (Aix-en-Provence).

Ce vieux et rare document restait d’actualité, si bien que la grande majorité des acquisitions de copies d’archives se faisaient toujours sur cette base. Cependant depuis les années 1970, les historiens et chercheurs avaient progressé dans leur quête de sources soit inédites, soit thématiques. Un collectif d’archivistes français, aidé par Ulanne Bonnel, publie en 1976 un Guide des sources de l’histoire des Etats-Unis dans les archives françaises. Non spécifique à la Louisiane, ce guide a le mérite d’introduire une première et succincte investigation dans les archives départementales. De leur côté, Milton et Norman Rieder ont publié des inventaires de sources françaises concernant les Acadiens de Louisiane : The Acadians in France, 1762-1776 (3 volumes, 1967-1973), et The Crew and Passenger Registration Lists of the Seven Acadian Expeditions of 1785 (1965). Continuant ce travail, Albert Robichaux a publié le résultat de ses enquêtes archivistiques en France dans trois ouvrages : Acadian Marriages in France (1976), The Acadian Exiles in Nantes (1978) et The Acadian Exiles in Saint-Malo (1981). Carl Brasseaux a publié sous forme de Livre-CD-Rom une liste de sources pour la biographie des Français en Louisiane, France’s Forgotten Legion (2000). J’ai moi-même fourni des indications sur les lieux-sources de l’histoire de la Louisiane française dans le site internet bilingue dont j’ai été chargé par le Ministère de la Culture : www.louisiane.culture.fr (2003).

Mais l’impulsion décisive a été donnée lorsque, réfugié à Lafayette en conséquence du passage de l’ouragan Katrina et de l’inondation de La Nouvelle Orléans (août-septembre 2005), Alfred Lemmon rencontre à nouveau Carl Brassseaux. Ils décident d’unir leurs efforts pour que cette forme moderne du Calendar voie le jour. Cet énorme travail pourra être réalisé grâce au financement de la Historic New Orleans Collection. C’est alors qu’Alfred Lemmon, ayant besoin d’un expert en France, m’a parlé de ce projet ambitieux. La tâche consistant à établir les références actuelles des documents cités, n’est pas aisée : de nombreuses références indiquées ont changé en raison des modifications intervenues dans les institutions et les lieux de dépôt. Enfin, le Calendar n’avait pas recensé les sources manuscrites conservées hors de Paris. J’ai naturellement été enthousiasmé par l’ambition de ce projet, et nous nous sommes tous aussitôt mis au travail. Carl Brasseaux a conduit ses étudiants du Center for Louisiana Studies dans la création d’une base de données informatisée sous une forme internationale, à partir du travail de Nancy Surrey. Dans le même temps, j’ai commencé à mener une investigation aussi étendue que possible dans les dépôts d’archives hors de Paris et les archives départementales, de façon à compléter par des sources nouvelles les documents parisiens compilés par Leland et ses nombreux aides. Enfin l’Ecole nationale des Chartes a accepté de nous prêter le concours de ses étudiants pour la vérification systématique de cette base de données. A la fois actualisée dans ses références, et augmentée des sources extra-parisiennes de l’histoire de la Louisiane et du Mississippi, elle constituera nous l’espérons, améliorée au fil du temps, un outil de travail efficace pour les étudiants, enseignants, chercheurs et amateurs de tous les pays.

Gilles-Antoine Langlois
Maître associé - ENS d'architecture de Versailles
Chargé de cours - Université de Paris Est Créteil